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MISTRAL : Introduction

Agir par l'aménagement pour améliorer la sécurité demande de bonnes connaissances sur l'insécurité. Cela passe par des analyses cliniques s'appuyant sur des études détaillées d’accidents et des procès-verbaux remplis par les forces de l'ordre, les résultats permettent de construire des procédures de diagnostic utiles d’un point de vue opérationnel. Ils appellent aussi d’autres investigations en particulier sur les comportements observables, dans le but de généraliser certaines conclusions et de contribuer à intégrer de nouvelles connaissances dans les pratiques d’aménagement. La généralisation des résultats nécessite alors des approches statistiques comparatives et des évaluations.

Par ailleurs, l’approche systémique du rôle de l’infrastructure amène à s’intéresser aux liens entre la micro-régulation effectuée par l’usager lorsqu’il conduit, et à tous les niveaux de l’aménagement, à la macro-régulation opérée par les différents gestionnaires lors de leurs interventions sur les réseaux de voirie.

Une prise en compte durable de la sécurité dans l’aménagement, au-delà des mesures correctives, suppose que la sécurité participe avec d'autres objectifs aux démarches actuelles portées par le développement durable. Cette intégration de la sécurité s’entend à la fois dans la conception technique, qui doit tenir compte des connaissances sur la sécurité et sur les comportements, mais également dans la conception des projets, dans la mise en œuvre pratique, dans les processus de décision ainsi que plus généralement dans la planification urbaine.

C’est ainsi que, progressivement, nos problématiques de recherche ont évolué et que s’est construit le projet MISTRAL "Aménagement et Intégration de la sécurité dans la gestion territoriale".

Problématiques de la thématique MISTRAL

Une des premières questions posées est celle du transfert de connaissances depuis l’accidentologie clinique vers les pratiques d’aménagement, c’est-à-dire par les diagnostics de sécurité portant sur des espaces destinés à être aménagés. Pour ce faire, le Département travaille depuis de nombreuses années sur la notion de "scénario type d’accident". L’hypothèse ici formulée est que le déroulement de l’accident est fortement en lien avec son environnement et donc que chaque type de voies va supporter des scénarios de déroulement particuliers. Cela suppose donc l’existence de "pathologies routières" spécifiques. Ces régularités sont repérables par comparaison clinique entre les différents cas d’accidents qui se sont déroulés de manière semblable.

Ceci pose évidemment des problèmes théoriques et méthodologiques. Pratiquement, la construction des scénarios types telle qu'elle est réalisée à MA, utilise des corpus d’accidents représentatifs de ce qui se passe dans la France entière. C’est ainsi qu’ont pu être construits les scénarios types susceptibles de servir de référence à l’insécurité des piétons puis des autres accidents en zone urbaine. Dans les publications qui en ont résulté, sont également décrites les actions de prévention telles qu’elles apparaissent dans la littérature internationale.

Ce stade constitue un progrès pour les praticiens de la sécurité. Nombreux sont ceux qui, sous l’impulsion du CERTU, réutilisent aujourd’hui ces résultats en réaffectant les accidents qu’ils étudient à des scénarios déjà construits. Cette notion, développée au Département, est également réutilisée dans des projets européens. La prochaine étape de notre travail est la conception d’un système automatique de reconnaissance de scénarios à partir de données sur les accidents en collaboration avec  l’université Paris XIII.

Une littérature abondante décrit l'influence des traitements des espaces urbains sur la sécurité, littérature qui contribue à l'établissement de la doctrine technique et à la production de normes, dossiers guides, recommandations, états de l’art ou bonnes pratiques. Une partie de cette littérature s’intéresse aux outils et aux procédures à mettre en œuvre. Toutefois, l’efficacité des actions est très rarement mesurée. En France, des services comme le CEREMA diffusent cette doctrine technique, comme un point de vue "officiel" et par certains côtés normatifs, sur la façon de concevoir les infrastructures routières et urbaines, en particulier pour une meilleure sécurité. De même, la communauté européenne, l’OCDE, l’ETSC, et bien d’autres, vont produire des recommandations générales qui se veulent porteuses de progrès.
Malgré cette littérature, il faut bien constater qu’il existe un déficit d’application des connaissances, des résultats de recherche ou même des doctrines promulguées. C’est pour cela que la recherche s’intéresse aux pratiques réelles, à la "sous mise en œuvre" des connaissances techniques, non seulement au niveau correctif mais également dans la conception et la gestion même des réseaux routiers.

Dans la gestion territoriale, même si la sécurité est reconnue comme un objectif important, d'autres valeurs tiennent un rôle tout aussi essentiel. Les préoccupations actuelles en matière d'environnement incitent certains à parler de néo-hygiénisme dans la conception de la ville. L'éco-mobilité tend à se développer, l'usage de la bicyclette surtout, mais aussi la marche à pied (Grande-Bretagne, Suisse...), la conception de véhicules (électriques) urbains, la conception des transports publics (développement des tramways, du tram-train)... Aujourd'hui, le développement durable constitue une notion susceptible d'englober toutes ces préoccupations. Depuis quelques années, l'intégration de ces différents objectifs dans l'aménagement semble inéluctable  Ces démarches sont inscrites dans différents textes de lois portant sur la construction et l’aménagement de l’espace public. Ceci est présent dans la loi sur l'Air (LAURE) initiant de nouvelles formes de lutte contre les nuisances, l'obligation d'aménagements cyclables et la planification des déplacements urbains et, plus récemment, dans la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) qui modifie les dispositions relatives aux PDU, ajoutant en particulier la sécurité parmi leurs prescriptions. Dans ce contexte, la sécurité doit se confronter et s'articuler avec un ensemble d'autres valeurs et sa prise en compte dépend alors de relations entre acteurs porteurs d'objectifs différents. Il est ainsi nécessaire de s'intéresser aux processus de production des projets et de gestion de l'espace, aux modes d'organisation, à la demande sociale, aux métiers et aux cultures techniques, au contexte institutionnel et juridique.

Le contexte institutionnel de l'aménagement est en évolution rapide. Les transferts de compétences du niveau national vers les échelons locaux ont été organisés par les réformes successives de décentralisation (1982-1983) puis de déconcentration (durant la décennie 90). Aujourd'hui la deuxième phase de décentralisation se met en place avec le transfert d'une grande partie du réseau national vers les départements, accompagné d'un transfert de personnels des DDE.

Des observations que nous avons déjà pu faire, l'hypothèse serait ici que la prégnance des systèmes socio-techniques locaux et de leurs modes de fonctionnement conduit à enfermer l’expression d’une légitimité globale dans le moule des savoir-faire et des pratiques éprouvées (en particulier en sécurité routière). Ainsi, au-delà de la rhétorique consensuelle sur la sécurité routière, le projet apparaît surtout comme une mise en relation des différents outils techniques dont les acteurs de la décision sont porteurs, plutôt que comme le résultat d'une réelle décision stratégique.

Les concepts techniques trouvent leur fondement dans l'hypothèse selon laquelle l’amélioration de la cohérence entre les déplacements et l'environnement urbain améliore la sécurité. Il a pourtant été montré que, dans la planification de la circulation et des déplacements, des logiques autres que le niveau de sécurité prévalent, mieux défendues et représentées sur les scènes locales. Ainsi, les logiques de flux et de mobilité, associées à celle d’attractivité et de développement économique, restent déterminantes. Dès lors, la sécurité des déplacements, si elle apparaît textuellement, renvoie, dans les faits, à des projets dont l’objectif premier est d’éviter la congestion dans les agglomérations.

Un des leviers permettant de prolonger les progrès actuels en sécurité routière serait la mise en cohérence de la réalité de la situation accidentelle et l’établissement des responsabilités juridiques de chacun des acteurs concernés par la survenance de l’accident. En effet, la politique volontariste menée par les pouvoirs publics vise traditionnellement, et encore aujourd’hui, le conducteur. Pourtant, des aménagements peuvent contraindre les comportements, guider l'action pour offrir un contexte de conduite favorable à la sécurité. D'autres, par défaut de lisibilité, de visibilité, suscitent des erreurs d'appréciation de la situation par le conducteur, peuvent le conduire à l'erreur ou à la faute qui constituera une cause plus directe -et plus visible- de l'accident. L'action sur l’infrastructure peut donc contribuer à la diminution des accidents et à celle de leur gravité.

En outre, les gains en sécurité attribués au renforcement de la répression risquent de se heurter à une limite incompressible qui impose de rechercher des réponses complémentaires en agissant sur les autres éléments du système routier pour continuer à progresser. Or, ne pas mettre en œuvre tous les moyens possibles pour appliquer les connaissances sur la conception des aménagements permettant d’améliorer la sécurité peut engager des responsabilités juridiques, notamment pénales. Nos analyses montrent que la crainte de cette judiciarisation conduit parfois au développement de stratégies de protection, mais celles-ci n'assurent pas toujours la sécurité juridique de leurs initiateurs, ni celle des déplacements. Les carences constatées peuvent être tenues pour des négligences graves ou répétées exposant leurs auteurs au risque pénal. En revanche, la crainte d'un risque pénal bien compris peut impulser des pratiques favorables à la sécurité. Des exemples étudiés montrent ainsi que la crainte de judiciarisation peut devenir un élément moteur pour développer des "bonnes pratiques".